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aehpi-sudilefrance

18 janvier 2009

Enfants surdoués, enfants fragiles

   
Enfants surdoués, enfants fragiles
Les enfants intellectuellement précoces ne sont pas des enfants que l'on pousse. Mais la tentation est grande de trop les stimuler

Edouard, 15 ans, vient de rentrer en classe prépa scientifique à Nice. Avec deux ou trois ans d'avance sur ses camarades. Mais sa maman, Catherine (qui exerce actuellement un métier de standardiste), n'a pas le sentiment de l'avoir «poussé». Au contraire. Elle se «mord les doigts, dit-elle, de n'avoir pas pris plus tôt conscience de ses problèmes». Elle ne voulait pas non plus, quand il était petit, «en faire un singe savant», alors qu'elle avait remarqué «qu'il faisait des choses que les autres ne faisaient pas» : il parlait à un an ; à 4 ans, il avait un vocabulaire très élaboré, prononçait des phrases du genre «il faut bien assumer les conséquences de ses actes» ; à 5 ans, il avait déjà un peu appris à lire tout seul.« À côté de cela, dit-elle, il était maladroit en sport, avait du mal à lacer ses chaussures, à manger tout seul...» Et puis à l'école, il avait de bons résultats, mais sans plus. Et surtout il s'ennuyait, n'obéissait pas, pleurait souvent et n'avait pas de copains. Des signes d'un malaise, qu'elle avait alors, déplore-t-elle, sous-estimé. À 7 ans, des tests passés chez un psychologue diagnostiquent un QI supérieur à 150. «À 9 ans (il était en CM2), dit-elle, ça s'est aggravé. Un jour, il a eu une altercation avec un enfant dans la cour et l'a mordu avec une violence inouïe. Il m'a expliqué alors combien l'école était pour lui épouvantable et qu'il n'y retournerait plus.» Édouard entre alors dans un établissement privé qui accueille les enfants « précoces, » où il effectue ses années collèges en deux ans au lieu de quatre, et où il s'est senti, dit-elle, «enfin épanoui, motivé», avant de réintégrer un lycée « normal », où il est encore aujourd'hui, car elle ne «voulait pas cultiver cette forme d'élitisme». Mais si Édouard est aujourd'hui intellectuellement à l'aise dans sa classe prépa, il n'a toujours pas de copains.

Édouard ressemble à beaucoup de ces enfants qu'on dit aujourd'hui «intellectuellement précoces» ou «à haute potentialité», parce qu'on ne veut plus parler de «surdoués». Mais on a encore du mal à les qualifier, car on ne sait pas encore très bien qui ils sont. Pendant longtemps on a cru en effet qu'il s'agissait de «petits génies» sans problème, puis on a pris conscience que ces enfants pouvaient être aussi en échec scolaire et avoir des difficultés, comme le rappelle Monique Binda, présidente de l'Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces (Anpeip). «On sait, dit-elle, que cette précocité peut être une faiblesse, que cette avance intellectuelle -et son décalage par rapport au développement biologique- peut être un facteur de fragilité.» Ces enfants comprennent en effet tout petits ce qui se passe autour d'eux, sont souvent hypersensibles, si bien qu'ils se mettent à pleurer plus facilement que les autres, ont parfois des troubles du sommeil et peuvent être considérés, quand on ne les comprend pas, comme des enfants capricieux. Ils peuvent présenter aussi des difficultés motrices, dessiner et écrire moins bien que d'autres, être physiquement un peu patauds. On les décrit parfois comme des enfants ayant des difficultés relationnelles, renfermés sur eux-mêmes, différents des autres, pouvant devenir la tête de Turc de leur classe. Certains développent même des troubles du comportement, associés ou non (comme l'hyperactivité ou la dépression).

On a encore du mal à qualifier ces enfants, car on ne sait pas encore très bien qui ils sont.

L'image de l'enfant «surdoué» a été tellement démystifiée, que beaucoup de parents craignent désormais que leur enfant le soit. L'idée est tellement bien passée qu'on pouvait être intelligent et avoir des difficultés qu'on tombe parfois dans l'excès inverse. Certaines associations ont même tendance à faire du catastrophisme. Or la «précocité intellectuelle» n'est pas toujours un handicap. Arielle Adda, psychologue, qui s'intéresse depuis longtemps à ces enfants (1), le rappelle : «Avoir un enfant doué, ce n'est pas toujours la galère ; ce peut être aussi un bonheur.» Il existe des enfants « doués » qui vont bien, s'intègrent aisément à l'école, ne sont de ce fait pas repérés ni testés par les psychologues, et ne rentrent donc pas dans les statistiques.

Le seul moyen dont on dispose aujourd'hui pour repérer les enfants précoces, c'est de mesurer leur quotient intellectuel. En utilisant ces célèbres batteries de tests proposés par Binet il y a un siècle.

Mais ces outils ont aussi leurs limites et leurs imperfections. Ils ne mesurent en effet que certaines formes d'intelligence (lire entretien). La limite entre l'enfant normalement doué et l'enfant précoce n'est pas nette : certains évoquent le seuil de 125, d'autres de 130. D'autres estiment que l'enfant n'est vraiment différent qu'au-delà de 150 ou 160. D'autres encore rappellent que ces tests doivent être accompagnés d'un examen clinique plus global pour mettre en évidence les éventuelles difficultés. Dans tous les cas, c'est «l'interprétation» qui leur est donnée qui compte. Car la médiatisation de ces tests -certains psychologues en ont fait leur fonds de commerce et on en trouve des versions «grand public» sous forme de cédéroms dans les supermarchés- a suscité certaines dérives.

«Les enfants précoces ont une exigence plus grande, comme si leur cerveau avait besoin de fonctionner tout le temps»

Certains parents peuvent arguer d'un «QI limite», arraché à un psy, pour justifier un saut de classe ou faire admettre leur enfant dans une école spécialisée. Mais selon Monique Binda, ces cas restent très minoritaires : la très grande majorité des parents qui font «tester» leur enfant, assure-t-elle, sont ceux qui sont confrontés à des «difficultés qu'ils voudraient comprendre». Jean-Charles Terrassier, psychologue, et fondateur avec Sophie Cote de l'Anpeip, insiste : «Les enfants précoces ne sont pas des enfants que l'on pousse. Au contraire. La plupart sont des enfants que l'on retarde, qu'on freine dans leur développement, en voulant les ranger dans la norme.»

La tentation est grande pourtant de stimuler les enfants dès leur naissance, comme en témoigne cette collection de DVD «Baby Einstein» destinée aux tout-petits. Pour autant, «il ne faut pas confondre l'éveil et la précocité, explique Laurence Vaivre-Douret. S'il y a plus d'enfants éveillés il n'y a pas davantage de surdoués. Un enfant à haute potentialité, ça ne se fabrique pas.» Et il est facile, assure-t-elle, de faire la différence entre des enfants «surstimulés» et des enfants précoces. Ces derniers vont conserver une aisance et un plaisir, là où les autres vont rapidement s'essouffler, s'épuiser.

Et si les enfants précoces ont besoin d'être davantage stimulés que les autres, il n'est pas toujours facile de trouver le juste équilibre. «Les enfants précoces ont une exigence plus grande, poursuit en effet Laurence Vaivre-Douret, comme si leur cerveau avait besoin de fonctionner tout le temps, de faire lien, d'inventer ; ils peuvent donc s'ennuyer, se retrouver en échec, s'ils ne bénéficient pas d'un apprentissage adapté». Mais elle attire aussi l'attention sur le risque de trop stimuler intellectuellement ces enfants, au détriment du reste. « Il faut faire attention à ne pas alimenter qu'une partie du fonctionnement cérébral, en oubliant l'aspect corporel, moteur, émotionnel. Car quand un enfant éprouve du plaisir à une forme de fonctionnement intellectuel, il va avoir tendance à le cultiver, et ses parents en extase devant ses performances vont avoir tendance à alimenter cette spirale. Or il est important pour son équilibre qu'un enfant fasse corps avec sa tête. Et il faudrait faire de la prévention en bas âge, pour éviter qu'ils se retrouvent plus tard avec des troubles de régulation motrice ou de la personnalité.» Il peut être aussi néfaste de les mettre dans des classes spécifiques, qui n'alimentent que leurs facultés intellectuelles, car on risque d'accentuer ce déséquilibre. Il ne s'agit pas en effet d'en faire seulement de brillants élèves, mais des enfants et des adultes heureux, capables de s'insérer dans la société.

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